Les difficultés des jeunes pilotes

Triés sur le volet et formés dans des écoles de prestige, les jeunes diplômés subissent les difficultés financières des compagnies aériennes. Expatriation, achat d’heures de vol, petits boulots… Ils bricolent pour réussir à voler de leurs propres ailes. «J’avais un rêve de gosse: devenir pilote de ligne. Pendant toute ma scolarité, j’ai poursuivi cet objectif», démarre Jean*, expatrié en Indonésie. Son parcours scolaire est cohérent avec ce but: baccalauréat scientifique, maths sup et maths spé et enfin intégration de la prestigieuse Ecole nationale d’aviation civile à Toulouse, seul établissement public du genre en France, à l’âge de 23 ans. Une école qui sélectionne chaque année environ 50 jeunes sur 2.000 candidats. «Une formation d’excellente qualité laissant présager d’un avenir professionnel radieux», assure Alexandre, âgé de 25 ans et lui aussi diplômé de l’Enac. Et dont on n’imagine pas les titulaires pointer à Pôle emploi. Contre toute attente, le ciel n’est pourtant pas dégagé pour ces jeunes diplômés d’élite. Le marché du travail est saturé. Chaque année, des promotions de jeunes sortent, en plus de l’Enac, de l’Ecole supérieure des métiers de l’aéronautique (Esma), de l’école de pilotage Amaury de la Grange (Epag) ou encore de Ecole de pilotage professionnel Trimaille, et peu d’offres sont disponibles. «Depuis 2007, tous les jeunes pilotes sont confrontés à des problèmes d’emploi. Air France n’embauche plus», confirme Antoine Godier, pilote de ligne et chargé de communication du Syndicat national des pilotes de ligne France (SNPL). Le nouveau PDG d’Air France, Frédéric Gagey, a d’ailleurs annoncé le 18 septembre aux représentants du personnel 2.800 suppressions de postes en 2014. En cause notamment, la crise, qui dégrade les résultats financiers des compagnies aériennes, et la modification, au 1er janvier 2010, de l’âge de la retraite des pilotes, qui leur donne la possibilité d’exercer jusqu’à 65 ans, contre 60 ans auparavant. Conséquence: les compagnies françaises freinent leurs recrutements. L’Association générale des élèves pilotes de l’aviation civile (Agepac) prévoit que le nombre des navigants de plus de 60 ans sera multiplié par trois d’ici 2016: «Nous considérons qu’il n’y a pas d’embauche pendant ces prochaines années.» Le dumping social opéré par certaines compagnies low-cost est également pointé comme l’origine des turbulences actuelles. «Ryanair a, entre 2007 et 2010, opéré des vols au départ de Marseille, basant des équipages et avions dans cette escale, sans pour autant se soumettre au droit français en matière de fiscalité et charges sociales. […] A l’échelle des compagnies aériennes, le comportement s’apparente à de la concurrence déloyale», dénonçait le Syndicat national des pilotes de lignedans un communiqué du 29 mai, veille du premier jour de procès de l’entreprise irlandaise pour travail dissimulé, dont le jugement doit être rendu le 25 septembre. Les perspectives d’embauche sont donc bien maigre, pour un investissement important: les écoles privées coûtent cher. «Les montants vont de 40.000 euros à 120.000 euros pour une formation initiale», précise Alexandre, qui gagne aujourd’hui sa vie en larguant des parachutistes. La formation initiale de 200 heures de vol sur des avions d’aéroclub ne suffit pas: l’expérience requise aujourd’hui pour être engagé définitivement doit être de 500 heures sur la machine que l’on souhaite piloter, tel l’Airbus A320 par exemple. «C’est comme quand vous faites une école d’ingénieur, la formation est générale. Les jeunes peuvent tout piloter et rien à la fois s’ils n’ont pas la possibilité de se spécialiser. Chaque appareil à sa spécificité. Quand tout va bien, ce sont les compagnies qui payent les formations de qualification», précise Antoine Godier. Pas assez d’expérience… et pas de travail pour l’acquérir en faisant les heures exigées: un cercle vicieux qui laisse à l’écart les apprentis pilotes. Comme beaucoup de jeunes Français, ils courent après leur première expérience professionnelle. L’Agepac avance le chiffre de «80 % des anciens pilotes de l’Enac, diplômés en 2011, [qui] exercent, en 2012, une profession qui n’est pas en rapport avec leur formation initiale».