L’avion : quelle allégorie plus puissante de la mobilité apparemment sans effort qui nous est offerte par l’incroyable développement économique, ou de l’immensité de l’ingéniosité humaine ? Quoi de plus scientifiquement stupéfiant que ces oiseaux de métal géants dont on voit le nez transpercer les nuages ? Malheureusement, cette image du transport aérien que nous assènent les magazines de luxe spécialisés est une façade qui masque des réalités embarrassantes, auxquelles les propriétaires d’aéroports préfèrent que vous ne réfléchissiez pas. Outre ses impacts en matière de bruit et de pollution de l’air bien connus des riverains des aéroports, le transport aérien fait payer un lourd tribut au climat. Il constitue à l’heure actuelle le facteur de changement climatique dont l’incidence augmente le plus rapidement, et au Royaume-Uni, où nous prenons davantage l’avion par habitant que nulle part ailleurs, le secteur génère 6 % des émissions de gaz à effet de serre (l’impact sur le réchauffement climatique est double si l’on inclut les effets autres que celui du CO2 en altitude). Aux dires du ministère des Transports du Royaume-Uni, si on laisse le nombre de passagers augmenter au rythme actuel, il devrait doubler à l’échelle mondiale d’ici 2035. Avec une telle croissance, les objectifs de réduction des émissions devenant impossibles à atteindre. Et pourtant, alors que l’on exige, à juste titre, de tous les autres secteurs de l’économie qu’ils fassent preuve d’un comportement plus écologique (même si c’est très lent) et réduisent leurs émissions en termes absolus, l’industrie aéronautique semble passer systématiquement à travers les mailles du filet. Non seulement aucun objectif n’a été fixé pour l’aviation dans le Climate Change Act signé en 2008 au Royaume-Uni, mais le transport aérien (ainsi que le transport maritime) brille par son absence dans la version finale de l’accord de Paris sur le climat. Et en octobre dernier, l’organe des Nations unies chargé de réglementer le secteur n’a pu convenir que d’un concept douteux de « croissance neutre en carbone d’ici 2020 » : un objectif uniquement réalisable en appliquant des systèmes de compensation controversés qui rejettent la responsabilité sur d’autres secteurs de l’économie. Si elle fait grincer des dents les militants pour le climat, cette approche n’a rien de surprenant à l’heure où l’industrie et le gouvernement sont aussi étroitement liés, le personnel passant souvent de l’un à l’autre au long de sa carrière. Faut-il déduire de tout cela que nous sommes tous également responsables de cette situation ? Non. Les tendances des vols en avion, comme tant d’autres choses, sont le reflet des inégalités économiques qui caractérisent nos sociétés. Ainsi, au Royaume-Uni, plus de la moitié de la population ne prend jamais l’avion de l’année, et 33 % ne le prennent qu’une ou deux fois. Les 15 % restants prennent 70 % de la totalité des vols, la plupart n’étant pas des vols professionnels, mais de loisir. Avec des revenus annuels moyens de plus de 115.000 £ (130.000 €), ces voyageurs fréquents sont majoritairement responsables de cette demande prétendue impossible à freiner. Mettez en contraste la richesse de ces boulimiques de l’avion et la pauvreté de ceux qui subissent en masse les effets du changement climatique (des études suggèrent qu’il aurait déjà occasionné la mort de 150.000 à 400.000 personnes par an, notamment en Afrique subsaharienne) et cette injustice mondiale crève tristement les yeux.